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LE RANZ DES VACHES

 

 

 

 

D'où nous vient-il? Des Colombettes, sans doute... De lieu charmant devenu célèbre, au flanc des Alpettes. De ce chalet ou plutôt d'un de ces chalets pareils à tous ceux de la Gruyère, berceau du plus beau chant qui soit, au refrain magique et puissant, puisqu'il faisait pleurer les plus braves sur la terre d'exil.

Mais qui nous dira son origine qui semble appartenir à la légende? Quel poète, quel ménestrel a composé ces couplets simples et naifs, ironiques et tendres? Quel musicien, quel troubadour a noté ou chanté pour la première fois, cette mélodie tantôt lente et mélancolique, tantôt rapide et joyeuse? 

D'où nous vient-il?... Le Ranz des vaches de la Gruyère vient sans doute du pays même. Les armaillis, d'après la tradition, en auraient composé eux-mêmes des paroles à la veillée, assis sur leurs sièges instables, près du foyer. Un moine de La Part-Dieu, le couvent voisin, en aurait créé la

mélodie et la leur aurait apprise.

Vous voyez le tableau. Un intérieur de chalet... La chaudière de cuivre suspendue au "tour" sur le foyer. Le mur fuligineux, et, au-dessus, la grande cheminée de bois.

Un moine dans sa robe de bure blanche, debout, chantant

le Ranz des vaches. Sa voix mâle et austère comme celle d'un

Currat, les armaillis ravis qui l'écoutent... Qui l'écoutent sans perdre une note comme les patriotes républicains écoutèrent Rouget de Lisle chantant la Marseillaise. Ajoutez à cela le tintement lointain des clochettes du troupeau. Vous aurez une vision très nette mais fugace de cette scène bucolique. Oh! le séduisant sujet d'art pictural!

Tout fait supposer une origine moyenâgeuse à ce chant des bergers.

Le chant patois et surtout le Ranz des vaches a un caractère mélancolique. Il a une parenté assez prononcée avec le plain-chant. Il a quelque analogie avec les chansons des marins de la vieille Armorique, chansons des marins qu'a immortalisé Botrel, le barde breton. La même mélancolie, la même lenteur se retrouvent dans le couplet, tandis que le refrain se fait plus gai, plus rapide.

Que veut-il dire? Il raconte les viscissitudes des armaillis. Le troupeau qui s'embourbe... Piéro qui va frapper à la porte du presbytère, sollicitant une prière. L' "incourâ" qui promet le secours demandé en échange d'un fromage non écrémé. L'armailli qui accepte les conditions, mais qui pose les siennes, et vient rejoindre ses vaches. Enfin... le troupeau qui passe. Conte charmant et naïf d'un épisode banal en soi.

En effet, ce matin-là, les armaillis des Colombettes s'étaient levés de meilleure heure. On changeait de pâturage. Ils arrivent aux Basses-Eaux. C'est un endroit fort boueux, une véritable fondrière. Les vaches s'avancent bravement pour traverser... Impossible. Elles sont victimes d'un mauvais sort. Le troupeau ne peut passer... Bêtes et gens semblent "encharriées". Le maître-armailli envoie Piétro vers le curé du lage le plus rapproché, qui est Charmey. Que faut-il lui demander? De conjurer le maléfice. "Il faut que vous disiez une messe pour que nous puissions passer". Le vieux prêtre veut bien, mais il est intéressé et... gourmand: "Il te faut me donner un fromage, mais ne l'écrème pas". "Envoyez-nous votre servante, dit l'armailli, nous lui ferons un bon fromage gras". "Ma servante est trop jolie, répond ironiquement le prêtre, vous pourriez bien vous la garder". Et Piéro, qui ne reste pas en arrière, de répliquer: "N'ayez crainte, nous ne sommes pas tellement affamés. De trop courtiser votre servante faudrait peut-être nous confesser". La satire va même plus loin et l'armailli ne se gêne pas d'ajouter: "De dérober le bien de l'Eglise, nous ne serions pas pardonnés". Un silence! Le bon curé est embarrassé. Pour couper court à ce dialogue qui risque de devenir scabreux, il dit, en manière de conclusion: "Retourne-t'en, mon pauvre Pierre, je dirai pour vous un Ave Maria... et bonne chance".

Piéro revint vers les Basses-Eaux. La prière du brave curé fut efficace. Le troupeau, délivré de son envoûtement, passa... Et l'on mit la présure dans la chaudière, avant d'avoir fini de traire. Ainsi se termine le récit avec ses dix-neuf couplets.

 

Salut aux Colombettes, à ce coin idyllique du souvenir, qui a donné à la Gruyère, au pays de Fribourg, à la terre romande, la touchante cantilène du Ranz des vaches!

La musique du Ranz des vaches, simple et délicieuse, est en rapport avec la nature intime de l'homme. Les soldats fribourgeois les plus braves ne pouvaient l'entendre sans déserter les drapeaux de l'étranger pour revoir leurs montagnes natales. Cet air sévèrement défendu autrefois aux musiques des régiments suisses en France. Il était cause d'un grand nombre désertions et de suicides.

 

Jamais Cent-Suisse au loin n'entend le Ranz des vaches

Sans qu'une larme brille au coin de ses moustaches

Et le mal du pays l'entraine à déserter.

 

On raconte qu'un voyageur visitant une peuplade de l'Océanie, voulut donner au chef de ces sauvage, son hôte, une idée de notre musique. Le concert parut bizarre à toute la troupe qui se mit à rire. On joua le Ranz des vaches. Le vieux sauvage devint sérieux, puis rêveur, et cachant sa tête dans ses mains, il l'écouta longtemps et pleura. Son émotion gagna l'assemblée. Il n'y eut plus dans cette hutte ni civilisés ni sauvages, mais des hommes se souvenant ensemble de leur patrie.

 

Que la Gruyère, ce pays des monts, ce pays des pastours, ce pays des chalets, ce pays des troupeaux, garde comme un trésor sacré son Ranz des vaches, ses chansons et son patois vigoureux. Que le liauba des armaillis des Colombettes demeurent inrffaçable, immortel au coeur de tout Gruérien! Qu'à l'ouïe de ce chant, l'héritage des aïeux, chacun se découvre! Il est notre hymne national à nous, bien à nous. Que dans nos montagnes, en un concert aux voix immenses, dans la lumière du matin ou le recueillement du soir, cette pastorale mélopée s'élance.... éperdument!

Qu'il m'est doux, à cette heure, de redire ces vers de Baron, le poète aux yeux éteints:

 

Quand sur la cime des montagnes,

La voix des bergers retentit,

Que, jusqu'au fond de nos campagnes,

Le Ranz des vaches rebondit,

Pour Dieu pour sa munificence,

Je sens redoubler mon amour,

Il nous a fait sa puissance

Le plus séduisant des séjours!

 

(Le Vieux Chalet, Clément Fontaine)

 

 

Lè j’armayi di Kolonbètè 

Dè bon matin chè chon lèvâ. 

Kan chon vinyê i Bachè j’Ivouè 

Tsankro lo mè! n’an pu pachâ. 

Tyè fan no ché mon pouro Piéro ? 

No no chin pâ mô l’inrinbyâ. 

Tè fô alâ fiêr a la pouârta, 

A la pouârta dè l’inkourâ. 

Tyè voli vo ke li dyécho ? 

A nouthron brâvo l’inkourâ. 

I fô ke dyéchè ouna mècha 

Po ke no l’y pouéchan pachâ 

L’y è j’elâ fiêr a la pouârta 

È l’a de dinche a l’inkourâ : 

I fô ke vo dyécho ouna mècha 

Po ke no l’y puéchan pachâ. 

L’inkourâ li fâ la rèponcha : 

Pouro frârè che te vou pachâ, 

Tè fô mè bayi ouna motèta 

Ma ne tè fô pâ l’èhyorâ. 

Invouyi no vouthra chèrvinta 

No li farin on bon pri grâ. 

Ma chèrvinta l’è tru galéja 

Vo porâ bin la vo vouêrdâ. 

N’ôchi pâ pouêre, nouthron prithre, 

No n’in chin pâ tan afamâ. 

Dè tru molâ vouthra chèrvinta 

Fudrè èpè no konfèchâ. 

Dè prindre le bin dè l’èlyije 

No ne cherin pâ pèrdenâ. 

Rètouârna t’in mou pouro Piéro 

Deri por vo on’Avé Maria. 

Prou bin, prou pri i vo chouèto 

Ma vinyi mè chovin trovâ. 

Piéro rèvin i Bâchè j’Ivouè 

È to le trin l’a pu pachâ. 

L’y an mè le kiô a la tsoudêre 

Ke n’avan pâ la mityi aryâ. 

 

Refrain 

Lyôba, lyôba, por aryâ (bis). 

Vinyidè totè, byantsè, nêre, 

Rodzè, mothêlè, dzouvenè ôtrè, 

Dèjo chti tsâno, yô vo j’âryo, 

Dèjo chti trinbyo, yô i trintso, 

Lyôba, lyôba, por aryâ (bis). 

Lyôba, lyôba, por aryâ (bis). 

Lè chenayirè van lè premirè, 

Lè totè nêrè van lè dêrêrè 

Lyôba, lyôba, por aryâ (bis). 

Le Ranz des vaches - Bernard Romanens
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