top of page

DIABLES ET DEMONS

Il est des fictions moins douces, moins poétiques que celles des fées et des génies domestiques.

Lorsque l'homme s'est vu aux prises avec le mal, qu'il s'est senti subitement atteint par les coups de l'infortune, son imagination s'est plu à voir dans ces épreuves l'effet ou la vengeance d'esprits néfastes. Il a donné alors libre cours à des idées sinistres, étranges. Il a vu dans le malheur une intervention méchante de mauvais génies ou démons, obéissant aux ordres du diable.

Qu'il se nomme Moloch, Lucifer, Astaroth, Belzébuth ou Satan: tous les peuples ont cru au génie du mal personnifié dans un être malfaisant. De même, ils ont gardé la croyance au génie du bien, ou esprit bienfaisant, ennemi naturel, perpétuel et irréductible du premier. Toujours le

dualisme du bien et du mal.

Comme autrefois les croyances religieuses reposaient plus sur la crainte que sur l'amour; on se préoccupa plus de Satan et de sa puissance que de Dieu et de sa grâce. On en vint à imaginer qu'il était possible d'entrer en communication avec le diable et les démons qui lui font escorte. On se persuada qu'il était possible de disposer à son gré de sa puissance et de se livrer, pour se l'approprier, à toutes les pratiques de la sorcellerie et de la magie. On s'habitua enfin à voir l'action de Satan en tout ce qui présentait un caractère étrange, effrayant inexpliqué. On en vint même à envisager certains animaux, parmi les plus laids ou les plus redoutables, comme des démons déguisés.

Selon la mythologie et les croyances populaires, autour de Satan vient se ranger tout un demi-monde de démons, héros sinistres ou mauvais, solitaires et ténébreux: les gnomes, hôtes des cavernes, qui surveillent les trésors; la chaussevieille, démon femelle monté sur un cheval aveugle; les porte-bornes ou chandelettes, esprit des damnés qui reviennent vers les vivants pour réparer quelque injustice; les nitons, démons espiègles qui jouent de mauvais tours aux bergers.

Quant à Satan lui-même, il possède une foule de titres. C'est l'Autre, nom discret dont on se sert, quand il agit par sortilège. Le Méchant ou le Malin, de qui vient tout le mal. Le bocan ou le bouc, de la forme que le diable revêt quand il préside aux sabbats. Le tofrou, celui qui est toujours dehors, toujours en route, cherchant une proie à dévorer, selon l'expression de l'Apôtre.

Dans l'imagination populaire, la bande redoutée des esprits infernaux se manifestait dans la montagne peu habitée, les rocs dénudés, les glaciers. C'est là qu'ils essayaient d'attirer les chasseurs de chamois trop audacieux. C'est là qu'ils cherchaient à nuire aux bergers et à leurs troupeaux. Pour les en empêcher, ceux-là avaient recours à de mystérieuses conjurations ou incantations.

Certaines époques de l'année étaient propices à ce genre de cérémonies. Au premier jour de mars, ils allumaient de grands feux purificateurs connus chez nous sous le nom de brandons. Leur but était de chasser les esprits malins qui rôdent dans les airs et d'en préserver les champs, les maisons et les bestiaux. Cet usage semble remonter aux fêtes païennes que les Romains donnaient en l'honneur de Palès. A cette occasion, les bergers, après avoir purifié leurs étables des maléfices, priaient la déesse des pâturages de préserver leurs troupeaux de tout malheur et, le soir venu, allumalent de grands feux. Les feux de la Saint-Jean, qu'on allumait un peu plus tard, étaient non moins utiles. ils passaient aussi pour mettre en fuite les démons et ils consumaient une herbe paiticulière, l'épervière. De là l'expression connue d'herbe de la Saint-Jean. Notons en passant que cette plante était déjà utilisée par les druides lorsqu'ils se livraient à leurs enchantements.

Dans l'office des complies, l'Eglise prie "le Créateur de toutes choses d'être notre protecteur, de faire fuir loin de nous les songes, les fantômes de la nuit et de comprimer notre ennemi". Voilà bien encore une conjuration de l'esprit des ténèbres et de ses acolytes:

"Procul recedant somnia

Et noctium phantasmata"

 

(Le Vieux Chalet, Clément Fontaine)

bottom of page