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LA GRUE DE LA GRUYERE

"Messire Gruérius, chargé de riche butin, chevauchant à tout son ost avec ses compagnons, s'arrêta en ung pays moult plaisant et agréable et fust par luy ledit pays appelé Gruyère, d'une grue qu'il avoit tuée et faisoit porter fichée es fer de sa bannière."

(Légende d'une peinture au château de Gruyères)

 

Les traditions de l'Helvétie romane ont gardé le souvenir de l'établissement de hordes vandales ou burgondes chez nous.

Ainsi, après l'âge d'or des armaillis et l'époque où vivaient les géants, les lutins serviables et les bonnes fées de la montagne, la région inhospitalière qu'arrose la Sarine échut à quelque chef vandale qui s'y établit.Ce guerrier s'appelle Gruérius. Il est, d'après la tradition, le premier ancêtre des comtes.

A son arrivée, la contrée est déserte, sauvage, inhabitée. Il

a quitté les pays du nord pour chercher une terre meilleure.

Par étapes, il amène des guerriers, des femmes, des troupeaux

vers les montagnes, en remontant le cours de la Sarine.

Un soir, comme il traverse la plaine, il voit à ses pieds s'ouvrir une vallée. L'onde glauque dont il a suivi le cours s'en échappe. Cette contrée est belle, ombragée d'essences alpestres. Elle est riche en forêts, en eaux et en gibier. Elle est sauvage, mais elle lui plaît ainsi. Il se tourne donc vers ses compagnons et leur dit:

- Voilà bien la terre que je cherchais; arrêtons-nous ici:

Au guerrier, qui se tient à ses côtés et qui est son confident, il murmure à mi-voix:

- Vois ce pays! En mes songes glorieux, que tu croyais chimériques, hier encore, quand je menais une vie vagabonde et inutile, je désirais ardemment me fixer en pareil lieu.

A l'entrée de la vallée, telle une sentinelle, se dresse une colline qui garde le passage. Se retournant alors vers ceux qui le suivent, le chef dit très haut:

- C'est là que je construirai manoir et cité, où vous trouverez un asile en ces temps pleins d'insécurité. Je suis rassasié de rapines et de guerre, j'aspire enfin à un peu de tranquillité et de paix.

 

Compagnons, regardez! En mes rêves de gloire,

Quand sous mon étendard, j'appelais la victoire,

J'aspirais au bonheur de m'arrêter un jour,

Désirant pour ma tente un fortuné séjour!

 

L'agreste mamelon, qui devant nous se dresse,

Comme un fort naturel pour les jours de détresse,

Commande du pays le superbe horizon:

Il n'attend pour briller que l'éclat d'un blason.

 

Et là, je fonderai, sur ces larges assises,

Un castel à l'abri des guerrières surprises,

Où mes gens, mes vassaux, à l'heure du danger,

Trouveront des remparts pour les mieux protéger.

 

Et voilà pourquoi Gruérius fonda le château et la bonne ville de Gruyères. Le soir était beau. Du ciel empourpré une grue blanche, égarée sans doute d'une troupe en migration, s'en vint, confiante, se poser sur l'épaule du Vandale farouche:

- Voilà, dit-il, un oiseau d'heureux présage. Par Wotan, le dieu de mes ancêtres, je le choisis pour décorer mon blason. Mes armes seront désormais "une grue d'argent sur champ de pourpre", et sur mon casque je veux placer cet oiseau au vol dressé, en guise de cimier.

C'est ainsi que Gruérius choisit la grue pour emblème du pays dont il foulait la terre.

 

(Le Vieux Chalet, Clément Fontaine d'après Jos. Michel)

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