top of page

LES FEUX FOLLETS

Les feux follets sont les pâles âmes de jeunes filles frivoles et légères. D'une Fanchon qui ouvrait trop facilement sa fenêtre à son galant, d'une Jeannette qui ne savait rentrer au logis qu'après l'angélus, d'une Mariette qui se permettait d'aller veiller hors de la maison, d'une Lisli qui ne manquait pas une foire, pas un marché. D'une Lille, belle danseuse,

d'une Gothon trop rieuse, d'une Torthée trop bavarde, d'une Babette trop coureuse. Et de tant d'autres fillettes qui n'ont pas su rester vertueuses.

Pendant la journée et même dans les nuits claires, ces âmes

croupissent dans la vase. Ce n'est que lorsqu'une ombre épaisse 

couvre les marécages et les tourbières qu'elles peuvent sortir de leurs tristes demeures.

Alors par centaines et par milliers, ces pauvres délaissées, comme des météores, voltigent çà et là, mélancoliques, muettes et résignées. Elles ne poussent pas un gémissement, pas une plainte, pas un soupir; elles vont, viennent, reviennent, et toujours cherchent à s'élever vers les cieux, sachant que là-haut un bonheur sans fin les attend. Parfois on voit une petite flamme monter, monter et monter encore, puis disparaître. C'est un feu follet qui s'est envolé vers les cieux.

Mais, hélas! le plus souvent, après avoir erré toute une nuit sur les marais fangeux, les pauvres follets sont obligés de replonger dans l'eau verdâtre et croupissante dès que l'aurore parait.

Les feux follets ne sont ni méchants ni dangereux. Ces pauvres petites âmes n'attendent que leur délivrance. Ce n'est pas dire pourtant qu'en quittant leur corps elles n'aient rien gardé de l'adresse et de la ruse féminine... Le contraire serait fort difficile à croire!

 

(Légendes de la Gruyère, Marie-Alexandre Bovet et Gisèle Rime)

 

 

Il est minuit. Dans la campagne, rien ne bruit. Il fait tiède. De petites flammes s'agitent là-bas, au-dessus des marécages. Elles voltigent à quelque distance du sol pestilentiel des frondrières, paraissent errer ça et là, à l'aventure. Prenez garde! Ce sont les feux follets, qui jettent dans l'épouvante le voyageur attardé, qui paraissent l'attendre dans un endroit toujours sinistre, cimetières, champs de batailles, lieux où se dressaient jadis des gibets. Ils le poursuivent parfois avec insistance, flammes follettes, malignes, ensorcelées. 

Le noctambule s'arrête alors comme sous le coup d'une commotion électrique. Il frissonne jusqu'aux cheveux. Une frayeur hallucinante s'empare de lui. Il rebrousse chemin et quitte lestement les parages aussi mal famés. Nos populations campagnardes, qui ne sont point encore totalement réfractaires à certaines superstitions, voient dans les feux follets des âmes en peine qui reviennent vers les vivants expier quelque forfait. Autrefois surtout, ils répandaient la terreur. Chose heureuse, ils ont contribué à redresser bien des torts, réparer bien des injustices.

Le feux follet - nul ne doit l'ignorer au XXe siècle - est un phénomène tout naturel dû à l'hydrogène phosphoré qui se dégage de tous les corps en pourriture, des cadavres d'animaux et de matières organiques en décomposition. Ce gaz a la singulière propriété de s'enflammer spontanément au contact de l'air. Il produit une flamme pâle, cou- ronnée d'une fumée blanche qui monte mollement dans une atmosphère tranquille.

Un grand nombre de matières organiques renferment du phosphore qui donne naissance, par sa décomposition, à du phosphore d'hydrogène. Il est donc naturel que les feux follets apparaissent dans les cimetières, les champs de bataille, les marécages.

Dans ma jeunesse, il me souvient qu'un feu follet se faisait apercevoir dans les nuits sombres, au fond du pré de nos voisins. Grand émoi chez ceux-ci, très superstitieux de nature. Mille conjectures. Ils auraient bien voulu interroger l'esprit nocturne qui sautillait dans sa flamme mélancolique, là-bas. Mais ils n'osaient se risquer à le faire. Celui qui parle à un "bouènou" ne doit-il pas mourir dans l'année?

Je crus devoir intervenir et expliquer ce qui pour moi n'était qu'un phénomène parfaitement explicable. On n'en voulut rien croire au premier abord. Ces gens n'étaient pas loin de me traiter d'incrédule, voire de radoteur. Mais l'aïeul se souvint alors qu'à cet endroit on avait, il y a quelques décades, enfoui un cadavre de cheval. Tout s'expliquait...

Et l'âme en peine qui errait là était donc tout au plus celle d'une charogne et non celle d'un chrétien!

 

(Le Vieux Chalet, Clément Fontaine d'après J. Ch.)

bottom of page